Emile CHARTIER, dit ALAIN (1868-1951)
Extrait de Propos
Si vous considérez la mathématique comme une pratique, vous avez cent fois raison. On peut compter sans penser et manier l’algèbre sans penser. (…) C’est la géométrie qui sauve l’algèbre. (…) J’ai toujours pensé que la mathématique ainsi prise est la meilleure école de l’observation ; je ne suis pas loin de penser que c’est la seule.
Jules SUPERVIELLE (1884-1960)
Extrait
Quarante enfants dans une salle
Un tableau noir et son triangle
Un grand cercle hésitant et sourd
Son centre bat comme un tambour
Des lettres sans mots ni patrie
Dans une attente endolorie
Le parapet dur d’un trapèze,
Une voix s’élève et s’apaise
Et le problème furieux
Se tortille et se mord la queue
La mâchoire d’un angle s’ouvre
Est-ce une chienne ? Est-ce une louve ?
Et tous les chiffres de la terre,
Tous ces insectes qui défont
Et qui refont leur fourmilière
Sous les yeux fixes des garçons.
Marcel PAGNOL (1895-1974)
Extrait
Quelquefois, lorsqu’un élève lui posait une question, M. Cros essayait une explication (…). il déclamait, du haut de son estrade :
« La circonférence est fière
D’être égale à 2πR ;
Et le cercle est tout joyeux
D’être égal à πR 2 . »
Et il souriait. Comme pour dire : « Puisque vous êtes des littéraires, je vous donne de la poésie ».
(…) Il disait aussi :
« Le volume de la sphère,
Quoi que l’on puisse faire,
Est égal à 4/3 πR 3. » (…)
« La sphère fût-elle de bois. »
Il donnait une grande importance à ce vers final ; il le lançait avec une sorte de sévérité triomphale. Mais il ne s’adressait plus à nous : il parlait à la Sphère Elle-même.
Antoine de SAINT-EXUPERY (1900-1944)
Extrait du Petit prince
Les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais : « Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ? ».
Elles vous demandent : « Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ? ». Alors seulement, elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes : « J’ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit… », elles ne parviennent pas à s’imaginer cette maison. Il faut leur dire : « J’ai vu une maison de cent mille francs ». Alors, elles s’écrient : « Comme c’est joli ! ».
Jacques PREVERT (1900-1977)
Extrait d’Histoires
Le client : Garçon, l’addition !
Le garçon : Voilà. (Il sort son crayon et note). Vous avez…deux œufs durs, un veau, un petit pois, une asperge, un fromage avec beurre, une amande verte, un café filtre, un téléphone.
Le client : Et puis des cigarettes !
Le garçon : C’est ça même… des cigarettes… Alors ça fait…
Le client : N’insistez pas, mon ami, c’est inutile, vous ne réussirez jamais.
Le garçon : !!!
Le client : On ne vous a donc pas appris à l’école que c’est ma-thé-ma-ti-que-ment impossible d’additionner des choses d’espèces différentes !
Le garçon : !!!
Le client : (élevant la voix) Enfin, tout de même, de qui se moque-t-on ?… Il faut réellement être insensé pour oser essayer de tenter d’ « additionner » un veau avec des cigarettes, des cigarettes avec un café filtre, un café filtre avec une amande verte et des œufs durs avec des petits pois, des petits pois avec un téléphone (…). (Il se lève) Non, mon ami, croyez-moi, ne vous fatiguez pas, ça ne donnera rien, vous entendez, rien, absolument rien…, pas même le pourboire !.